Du risque systémique révélé par la SONARA 
Paru dans "Le Messager" de ce jour , 14 Juin 2019

On disait le Titanic insubmersible comme a été évoquée ces dernières années la résilience du Cameroun face aux crises . Survint cette nuit fatidique du 14 Avril 1912 où la déchirure de la coque de ce paquebot lorsqu’il heurta un iceberg a entrainé son naufrage. L’incendie de la raffinerie de pétrole SONARA pourra, si des mesures incisives ne sont pas prises pour limiter ses répercussions, venir à bout de la résilience du Cameroun , à cause du risque systémique que cet accident occasionne ; les conséquences pourraient alors être comparables à celles du Titanic. La question dès lors est de savoir si au-delà des discours, le système gouvernant a les capacités de relever un tel défi, car, qui dit risque systémique évoque une solution qui ne peut être que politique.
Risque systémique du point de vue financier.
Le niveau d’endettement de la SONARA auprès du système bancaire, on parle de dizaines de milliards Francs, est tel que la survie de certaines banques sera mise à risque par l’arrêt même temporaire de l’activité de cette entreprise ; cette éventualité exposera ces banques prêteuses à un véritable désastre pouvant aller jusqu’à leur fermeture. 
Plus préoccupant est le fait que l’Etat dans un passé récent a contracté un emprunt Euro bond de plusieurs centaines de milliards francs à un taux non concessionnel avoisinant 10%, une option au demeurant très questionnable. Nous avons à l’époque signalé ce qui était un conflit d’intérêt manifeste entre le gestionnaire public de cette opération et la Banque tête de file. 
Tout en soulignant au passage que cette opération été une bonne affaire chiffrée en dizaine de milliards francs de gains pour tous les intervenants dans cette opération , il est capital de relever que L’arrêt de l’activité de la SONARA qui était censé assurer le remboursement de cet emprunt viendra gravement alourdir la charge du service de la dette que l’ Etat doit supporter, lui qui peine déjà pour honorer le paiement des remboursements des prêts dûs à certains partenaires multilatéraux et bilatéraux donc notamment la Chine. 
Bien plus préoccupant encore est l’incidence que l’accroissement du différentiel de prix des produits pétroliers raffinés par rapport au prix du brut semi-raffiné importé par la SONARA aura autant sur la balance commerciale du pays que sur la balance de paiement, dans un contexte de bas niveau des réserves de change des pays de la sous-région. 
Risque économique
Lorsqu’on sait que la CDC et PAMOL, deux des géants agro-industriels implantés dans le NOSO, ont leurs activités quasiment l’arrêt du fait des troubles socio-politiques dans cette partie du pays, l’arrêt pour plusieurs moins de celles de la SONARA aura pour effet d’avoir l’activité industrielle de cette region réduite à un minima.
Lorsqu’ on relève par ailleurs que ALUCAM à Edea tourne au ralenti depuis des années, que la Camer Co peine à décoller et n’assure même pas la liaison Douala-Yaounde-Paris, que CAMRAIL depuis l’ accident d’ Eséka n’ a pas rétabli le transport de voyageurs entre Douala et Yaounde, la tension occasionné par un approvisionnement en hydrocarbures devenu aléatoire ne serait-ce que temporairement avec l’ accident de la SONARA ne pourra que propager dans l’ ensemble du système économique et social une fragilisation qui expose à tous les dangers . 
Lorsqu’à ce constat s’ ajoute une situation sociale caractérisée par une taux de sous-emploi de 97% d’ après les chiffres du Ministère de l’Emploi et un taux de chômage estimé à plus de 30% et supérieur a 50% dans la catégorie des jeunes diplômés de 25 à 35 ans, le tableau général de la situation du pays est plus que préoccupant avec un faible taux croissance qui est loin d’ apporter quelque soulagement aux populations tant sur le plan de l’emploi que sur celui de la distribution des revenus.
Ce tableau peu reluisant renvoie à la question : comment en est-on arrivé à ce point ? 
Un premier élément de réponse serait que le pays a manqué des années durant de réajuster sa stratégie de développement économique en restant arrimé à un modèle économique d’import-substitution couplé à l’exportation des matières premières non-transformées, sans tirer avantage de l’ouverture induit par la mondialisation. Cette léthargie était caractérisée par une absence de politique économique élaborée par les gouvernements successifs. Ceux-ci se reposaient sur les seuls prescriptions du FMI, alors que ces prescriptions ne portent que sur le bas du bilan, c’est à dire faire les coupes pour garantir une trésorerie suffisante aux paiement des créances dû aux créanciers internationaux. Pendant ces décennies, par incompétence u par ignorance, aucune attention n’était accordée au haut du bilan, c’est à dire aux performances des investissements en capital et génératrices d’emplois et de revenu. 
L’incompétence est a été institutionnalisée par la multiplication des erreurs de casting où la nomination aux postes de responsabilités dans les structures économiques à capitaux publics a été essentiellement basée sur des considérations politicienne et de népotisme, sans aucune exigence d’expertise, de compétence ou d’expérience. On a vu ainsi des fonctions traditionnellement réservées à des ingénieurs ou des managers être confiées à des anciens sous- préfets ou auditeurs de justice dont la seule référence était d’avoir été dans les services du Premier Ministère ou de la Présidence de la République. 
Promesses de campagne
Cett insuffisance essentielle a semblé avoir été perçue par le Chef de l’Etat qui s’est approprié il y a quelques années le discours de la marche du pays vers l’émergence, c’est qui laissait penser à un changement de paradigme caractérisé par une ouverture aux exigences de la mondialisation que sont la compétitivité et la bonne gouvernance. En termes de stratégie industrielle il se serait agi de travailler à l’ insertion du pays dans les chaines de valeurs mondiales. 
Beaucoup ont cru à cette évolution salutaire d’ autant plus que le pays s’engageait dans une nouvelle ère avec l’élection présidentielle. Je suis l’un de ce ceux qui y ont cru puisque dans mon soutien à la candidature du Président de la République actuel, mandaté par son parti, je suis allé pendant la campagne électorale de chaine de télévision à studio radio, annoncer la bonne nouvelle du nouveau paradigme économique qu’ induisait sa promesse de conduire le pays a l’ émergence. 
Cette promesse impliquait que l’engagement dans le nouveau paradigme conduirait à l’abandon de l’ancien paradigme et à ses pratiques. Cette marche vers un nouveau horizon aurait donc dù être caractérisée par l’adoption de nouveaux us et coutume dans l’implémentation d’une vision nouvelle à travers la modernisation du système économique, un redressement et une restructuration du système industriel.
Rien n’ayant changé dans les pratiques après les élections présidentielles, au regard et à l’observation de ce qui se passe dans la gestion économique, il est difficile de discerner un changement d’orientation on peut malheureusement dire que le Président de la République, quelque en a été ses intentions dans ses promesses électorales en matière de mutation économique, semble être vaincu par la nomenklatura.
A certains égards, en relevant la persistance de certaines pratiques dont notamment le copinage dans les nominations on est en droit de se demander comment se matérialisera le changement de pensée et de mode d’action qui changerait la course de l’économie du pays. 
Et pourtant, autant les circonstances actuelles comportent des risques et des menaces, autant devraient en être extraites de réelles opportunités transformatrices de notre pays. Il est toutefois inquiétant de constater la faible qualité de la gouvernance du secteur économique public dont la SONARA n’est qu’une illustration.

Si ces signes flagrants d’inefficacité ne sont pas conjurés par une mise en œuvre des mesures induites par le nouveau paradigme à savoir un changement de pratiques et le renouvellement des personnes, il est à craindre que le navire Cameroun n’échappe pas au sort du Titanic, ce qu’aucun patriote ne saurait souhaiter.


S.M. Célestin BEDZIGUI
Président du PAL, Parti des Modérés